La banlieue du TURFU, intervention de Makan Fofana
Un imaginaire dominant
L’ imaginaire dominant des banlieues s’impose par des images d’actualités, des chansons etc. Il s’oppose dans la pensée des habitants à un espace magique fantasmé à l’exterieur des banlieue (Paris, Dubai etc.). Ce récit est répété inlassablement et installe un sentiment de fatalité.
Un symbole récent de cette dualité est le clip de PNL où les rappeurs atteignent litéralement la tour Eiffel. Cela symbolise le projet d’ascension sociale qui cache toutes les blessures et les échecs des habitants des quartiers.
Pour comprendre le verouillage de l’imaginaire que vivent les habitants des banlieues, on peut évoquer le livre de Philip K. Dick Le maître du haut chateau ainsi que son adaptation cinématographique. C’est une uchronie qui décrit un monde alternatif où les Alliés ont capitulés devant les forces de l’Axe en 1947. Dans cet univers, un livre racontant une fin alternative (la victoire des Alliés) est découverte. Ce récit est rejeté par la population incrédule.
Le problème principal à résoudre est donc : Comment convaincre qu’une autre réalité est possible ? Makan Fofana propose de convaincre avec le concept de Multivers turfuristes.
Le livre La banlieue du Turfu.
Le mot Turfu représente l’alternative aux futurs installés dans les imaginaires (celui de la Silicon Valley par exemple). Le livre se pose deux questions :
- Faudra-t-il toujours sortir des banlieues pour accomplir ses rêves ?
Les habitants veulent accéder à “plus de modernité” : maison plus grande, vêtements de marque de luxe etc. (j’aurais dû poser une question ici : Pourquoi utiliser le terme de “modernité” pour désigner l‘“aisance matérielle et financière”?).
Réponse. 90% des habitants disent qu’il est impossible de rester dans le quartier à partir d’un certain salaire. Une vie meilleure n’y est pas possible. L’imaginaire des habitants l’emporte sur les spécificités du quartier (lieu de mémoire, historique, espaces naturels). Les habitants ignorent (dans les deux sens du terme) ce qui entoure directement leur quartier. Par exemple les espaces naturels : bois, lacs, même lorsque ces mots apparaissent explicitement dans le nom du quartier. Autre exemple, à Annecy des habitants ne portent pas attention aux paysages majestueux qui les entourent.
- Un furtur désirable n’est-il possible qu’en dehors des banlieues ?
Le projet Mbappé est dominant. C’est un modèle de respectabilité vu comme le meilleur futur possible lorsque l’on vient des banlieues. C’est un projet illusoire innaccessible. Est-il dépassable ? Ce problème interroge la capacité fabulatrice, la capacité à aspirer à quelquechose de différent. Le futur est une capacité de se projeter dans l’avenir, une capacité prospective.
Un projet collectif du “je” au “nous”
Par ailleurs, l’ascension sociale est un projet individualiste en contradiction avec les valeurs du quartier centrées sur la solidarité. Comment résoudre ce paradoxe ?
L’expression “JE suis dans le Turfu.” (je suis en avance sur mon temps) est omniprésente jamais “NOUS sommes dans le Turfu.”
Il est quasi impossible d’être footballeur. Cependant le projet Mbappé est très ancré dans les consciences en particulier des parents.
Nouvelles narrations
Comment imaginer l’inimaginable ?
Makan Fofana propose de développer des nouvelles histoires en atelier pour contrer les imaginaires dominants martelés par les œuvres de fictions à forte audience (exemples. Les films Les Misérables, Bac Nord). C’est difficile de lutter car les œuvres proposant un regard alternatif sont peu nombreuses ou reçoivent une audience limitée (Exemple. Le film La Gravité).
Faire naître un nouveau projet de société
Le mot d’ordre de Makan Fofana aux habitants des banlieues est “Inventons notre Turfu !”
Comment ne pas dissocier futur et quartier ? Comment mettre en valeur son quartier ? Comment penser des futurs désirables ancrés dans la culture du quartier ?
Une méthode : ateliers Fortnite
Des ateliers en trois phases :
- Imaginer
- Prototyper
- Transformer
Voici des exemples de propositions imaginées dans ces ateliers :
- L’Assemblée Nationale à la chicha
- La banlieue dans un film de sciences-fiction afroféministe
Questions/Echanges
La parole et l’imaginaire
Makan Fofana se confie sur comment l’étude de la Philosophie l’a transformé. Comment il a découvert que le rôle de la Philosophie est de “guérir les plaies avec la parole”, parole du débat qui manque souvent pour résoudre les conflits en banlieues. Il explique comment la violence s’est ainsi imposée à lui pendant son enfance, son adolescence. Développer son imaginaire commence par développer la parole.
Le sas de cloisonnement dans les banlieues
Makan Fofana insiste sur la tristesse qu’il ressent face à la difficulté d’échapper au sas de cloisonnement de la banlieue. Il explique que ce conditionnement est visible partout. Il évoque par exemple les clips des rappeurs. En début de carrière, les clips des artistes sont “ultra cliché”. Par opposition, les clips les plus récents des artistes bien installés montrent une “diversité incroyable” bien loin du conformisme de leurs débuts.
Cela montre qu‘“il est interdit d’être différent, d’être fou quand on a 15 ans en banlieues”. Il faut être connu pour avoir la légitimité d’être différent.
Il observe également ce sas de cloisonnement se refermer progressivement au cours du développement de l’enfant et de l’adolescent : à 8 ans l’enfant est encore indemne, à vingt ans de nombreuses personnes en sont pleinement victimes.
Makan Fofana tempère sa tristesse par une note d’espoir. L’an dernier, il a croisé de nombreux enfants et adolescents habitants les banlieues parfois très jeunes venus en masse au Paris Games Week (le plus grand salon français de jeu vidéo). Intrigué, il a décidé de mener l’enquête. Sa première hypothèse était que les enfants et adolescents étaient accompagnés de leurs établissemements scolaires qui auraient financés leurs billets d’entrée. Bien au contraire, ils étaient venus de leur propre initiative à leurs propress frais.